On se souvient de ce moment particulier : sur les pages et les écrans du monde, la photo du petit Aylan, enfant, migrant, échoué, aspiré par le sable, auréolé d’écume, en bord de Méditerranée. Elle avait zébré cette nuit que nous subissions tous : la mort quotidienne de centaines de personnes, une élimination aveugle, désertant toute décence, actionnée d’heure en heure, dans un mélange de fatalité impavide et d’émoi médiatique. L’inaction de la technocratie européenne laissait à penser que des logiques économiques, la raison d’État, et on ne sait quel pragmatisme politicien, opéraient des grenouillages inavouables entre le Bien et le Mal, entre le juste et l’injuste, entre l’acceptable et l’inacceptable, et qu’en attendant (sans doute un Godot que Beckett lui-même n’aurait su définir) l’extinction de masse pouvait se tolérer.